Précieux Facteur Humain

marker Date de Publication : 2020-07-20
Il y a un enjeu majeur que tout collectif doit affronter au cours de son histoire s'il veut avoir la chance de perdurer dans le temps : celui des relations humaines.
Dans une société individualiste où nous ne sommes pas habitués à coopérer intensément, mettre en place un collectif et le faire vivre peut souvent s'avérer être un véritable parcours du combattant, sur lequel de nombreuses communautés se cassent malheureusement les dents... C'est d'ailleurs la raison expliquant qu'en moyenne 9 projets collectifs sur 10 périclitent au bout de 5 ans seulement.

Cet enjeu est souvent appelé le PFH. PFH est à la fois l'acronyme de "Putain" de Facteur Humain, tant il peut être la source de tensions et peut mettre en miettes un projet collectif très prometteur, débouchant sur des situations interpersonnelles parfois proches du chaos. D'un autre côté, PFH signifie Précieux Facteur Humain pour illustrer le fait que cet aspect du collectif doit être particulièrement soigné et que, quand il est préservé, il mène à des projets durables et florissants.

Les relations humaines dans les communautés

Diana Leafe Christian s'est longuement penchée sur l'étude des écovillages ayant connu des conflits. Dans Vivre autrement (à retrouver ici ), elle indique qu'il apparaît que, dans la majorité des cas, l'apparition de conflits se fait à partir de problèmes structurels dans le groupe, c'est à dire de problèmes liés à des absences de process ou d'organisation structurelle dans le groupe.
Ces problèmes restent des non-dits dans le groupe jusqu'à émerger violemment, avec un risque d'explosion du groupe.

Afin de limiter le risque de conflits majeurs dans un collectif constitué, plusieurs moyens existent. Ces moyens sont largement partagés comme étant des solutions efficaces pour permettre le maintien durable d'un collectif.

La définition d'une raison d'être commune

Les motivations pour vivre dans un écovillage peuvent varier d'un habitant à un autre et ces différences sont le premier risque de conflit dans une communauté. Il est donc primordial que la communauté définisse ce qu'on appelle "sa raison d'être" : la raison d'être d'une communauté donne une direction au projet communautaire et une identité au groupe d'habitants.
La raison d'être est un élément clé de tout écovillage car elle permet de déterminer quel nouvel arrivant peut être inclus dans le projet et quel nouvel arrivant ne devrait pas l'être, en fonction de ses motivations personnelles.

La raison d'être doit être définie dès le commencement du projet : elle doit être discutée et partagée par tous les membres fondateurs. Un travail intérieur doit être fait et chaque membre doit s'assurer que sa propre raison d'être, ou plus précisément le sens qu'il souhaite donner à sa vie, est bien en accord avec la raison d'être du groupe. Une fois la raison d'être du collectif définie, celle-ci est rédigée puis partagée avec les membres souhaitant s'impliquer dans le projet.
Il est d'une grande importance que la communauté s'assure que les nouveaux membres partagent cette raison d'être. La majorité des écovillages mettent en place un processus d'inclusion des nouveaux membres : les besoins et souhaits du nouvel arrivant sont progressivement évalués, au cours de plusieurs semaines de vie dans le collectif.
Certains écovillages demandent également la participation à des "semaines d'expérience" : ces immersions dans le collectif sont accompagnées de session de développement personnel et de travail de groupe, pour que chacun puisse définir ses intentions, maturer son projet personnel et vérifier sa compatibilité avec la vision du collectif.

Cette raison d'être est souvent mise sous la forme d'une ou plusieurs phrases. La raison d'être du projet "Demain en main" est par exemple :

"Créer ensemble et vivre sur un lieu convivial, intergénérationnel animé par des citoyens s'inspirant de la nature
Partager au quotidien des valeurs de solidarité et de bienveillance
Accueillir, apprendre et transmettre des alternatives conciliant évolution, autonomie et sobriété heureuse"


Établir des accords entre les membres et mettre en place une structure juridique appropriée

Tous les accords pris dans le collectif, du plus basique au plus engageant pour la communauté, devraient être mis à l'écrit et bien précisés : en effet, nous avons tous des manières différentes de voir et de comprendre ce qui est convenu. Tant que le collectif fonctionne bien, tous les accords, même ceux pris de manière informelle, ne poseront pas de problèmes. En revanche, quand des différends entre les membres commencent à apparaître, des désaccords sur ce qui a été convenu dans le passé peuvent rapidement cristalliser les mésententes et faire éclater un conflit : il vaut donc mieux éviter de faire trop confiance au collectif pour se mettre d'accord lorsque le problème apparaîtra et il est préférable de mettre à l'écrit autant d'accords que possible.
il est notamment très important de bien définir les différents accords relationnels : charte de conduite entre les membres, un dispositif de résolution de conflits entre des membres et éventuellement un processus de sortie ou d'exclusion de la communauté.

Il est également particulièrement important de mettre en place une structure juridique et financière la plus adaptée à la raison d'être du collectif. Pour cela, de nombreux moyens sont mis à disposition pour aider les nouveaux collectifs à choisir sa structure.
En France, le réseau des Oasis de l'association des Colibris met à disposition des formations et des accompagnements de groupes se constituant, afin qu'ils puissent choisir sereinement la structure légale à mettre en place pour porter leurs activités.
Le réseau des écovillages GEN a également un programme de formation spécialisé pour la mise en place de nouveaux collectifs : de nombreuses informations peuvent être trouvées sur le site et des formations sont régulièrement proposées.



Choisir et mettre en place une méthode de prise de décision équitable et qui convienne à tous

Diana Leafe Christian indique dans son livre que, dans tout collectif, certaines personnes ont naturellement plus de pouvoir que d'autres, le pouvoir se définissant comme la capacité d’une personne ou d’un groupe de personnes à influencer d’autres personnes. Ce déséquilibre dans l'exercice du pouvoir peut avoir plusieurs origines : il peut provenir de différences dans les manières de communiquer (une personne à l'aise à l'oral aura plus de facilité pour faire entendre sa voix), d'inégalité de rôles (la voix des fondateurs est, par exemple, souvent mieux prise en compte) ou de différences de moyens (financiers ou temps libre).

Les déséquilibres dans l’exercice du pouvoir peuvent en revanche être corrigés en s'appuyant sur différents modes de gouvernance partagée, qui permettent de mieux répartir le pouvoir entre les membres du collectif. La sociocratie est un mode de gouvernance partagée, un article la décrivant peut être trouvé ici .

Pour mettre en place une gouvernance partagée dans un collectif, quelques conditions sont néanmoins à remplir par le collectif :
  • tous les membres du collectif doivent être réellement prêts à partager le pouvoir
  • la confiance dans le mode de gouvernance et dans l'intelligence collective est obligatoire
  • l'ensemble des membres doit travailler pour prendre les meilleurs décisions pour le groupe
  • il faut prendre le temps, nécessairement plus long, à la prise de décision collective
  • il est nécessaire de se former et de prendre le temps de mettre en place le mode de décision

Se former aux méthodes de communication de groupe et de résolution de conflits

Être capable de s'exprimer calmement sur des sujets ayant beaucoup d'importance pour soi est nécessaire dans un collectif, tout comme savoir recevoir une remarque ou une critique et en tirer le meilleur parti. Ces aptitudes ne sont innées et cela demande que le collectif se forme à ces méthodes. Des formations de Communication Non Violente ou de facilitation de conflits sont par exemple très utiles pour les communautés en création.
Il est particulièrement important de prendre ce sujet à bras le corps dès la création du groupe et de ne pas attendre les premiers conflits pour se former, afin de bien prendre en main ces méthodes.

Plusieurs écovillages se donnent aussi pour contrainte de se former de manière régulière à ces méthodes de communication afin de toujours mieux être en capacité d'exprimer ses besoins dans le collectif.

Faire appel à des regards et des aides extérieurs

Comme indiqué plus haut, dans le paragraphe concernant la mise en place d'accords et d'une structure juridique approprié, il est possible de s'appuyer sur les réseaux d'écovillages qui fournissent de nombreux services à destination des nouveaux (mais aussi moins récents) collectifs : le réseau des Oasis de l'association des Colibris en France et le réseau mondial des écovillages GEN peuvent être cités. En fonction des besoins et de la raison d'être du collectif, d'autres associations peuvent fournir de l'aide.

Lorsque des conflits commencent à apparaître dans une communauté, il ne faut pas hésiter à faire appel à des personnes extérieures au collectif : ils seront mieux disposés à fournir un cadre équitable et neutre pour réaliser la médiation, ce qui permettra une meilleure résolution des problèmes dans le groupe.

De nombreux collectifs ont également, en plus de la communauté de membres habitants sur le lieu, de nombreux partenaires extérieurs auxquels ils ont la possibilité de faire appel pour obtenir une vision plus globale du collectif : ces partenaires peuvent être appelés pour apporter un regard critique sur l'activité de la communauté, et vérifier que la raison d'être du groupe est bien respectée : si cela n'est pas le cas, ils peuvent éventuellement proposer des évolutions dans la raison d'être du collectif.
L'ouverture des collectifs à l'extérieur, via des visites ou des formations par exemple, est souvent le moyen de soumettre le collectif à un regard extérieur : il faut alors savoir recueillir les commentaires et les utiliser pour améliorer des points qui poseraient problème dans la communauté.